Marise toussa, cligna des yeux, observa Noah qui la fixait. Le garçon était effrayé. Il cherchait aussi de l’air, visiblement, à en juger par sa bouche ouverte et le râle de sa respiration.
Il était allongé sur elle. Elle sentait son poids sur ses cuisses, son ventre et ses seins. C’était une sensation plus agréable que dans son souvenir.
Il se dégagea plus vite qu’elle ne l’aurait souhaité, se posant sur le dos à côté d’elle.
— Purée, tu m’as fichu une de ces frousses ! s’exclama Noah. Tu t’es figée, t’es tombée en arrière et tu m’as emportée avec toi. T’as une sacrée poigne, tu sais ?
Un compliment de garçon, mais un compliment tout de même. Cela faisait longtemps qu’elle n’en avait pas reçu.
Elle l’avait attrapé, oui. Puis l’onde était remontée jusqu’à son cerveau et, cette fois-ci, elle avait laissé faire.
— Combien de temps ça a duré ? lui demanda-t-elle.
— Je ne sais pas, quelques secondes.
— Quelques secondes…
Des heures pour sa conscience. Elle avait tout vu. Noah, ce petit garçon sensible, rayon de soleil d’une famille pauvre qui peinait à joindre les deux bouts. L’amour immense de ses parents, leurs enseignements. Leur absence, aussi. Les premiers amis, l’incompréhension grandissante avec l’âge, la vidéo du feu dévastateur, l’anxiété des effets du changement climatique, la peur panique de ne plus avoir de planète où vivre. La terreur que le monde que ses parents lui avaient expliqué n’était pas vrai, qu’il n’existait plus pour lui, que lui ne vivrait que les horreurs engendrées par la violence d’une Terre qui mettrait un terme à la folie des hommes. Et les faits, scientifiques, qui s’accumulaient sur sa conscience, lui qui ne pouvait pas agir. Trop petit, trop insignifiant. Condamné à souffrir sans pouvoir répliquer, sans pouvoir arrêter toute cette société qui s’était tant emballée que plus personne ne dirigeait rien. Puis le démon, ses commentaires, sa jouissance. Puis le rasoir. L’hôpital. Le chamane et ses explications décalées. La crainte qu’il ne soit qu’hallucination. Le trajet, le deuxième chamane. La tortue, le démon. Le rituel de libération, la découverte d’un intérieur immense. Le nain, la pierre. Marise, la fille bizarre, la fille à problèmes. Un début de compréhension, de compassion. Oh ! Sa compassion ! Plus immense que l’océan.
Méritait-elle cette compassion, après ce qu’elle avait fait ? S’il savait vraiment ce que cela faisait d’avorter, de détruire une vie qui est en soi, la regarderait-il de la même façon ?
Et cet amour naissant, palpitant… Son excitation, sa gêne profonde de ne pas avoir de mains. Elle l’avait entendu dans la cave, mais là, à travers ce contact, elle avait reçu l’émotion brute. Il était mal dans sa peau.
Tout comme elle.
— Marise ?
Plusieurs secondes s’étaient écoulées… De ce qu’elle avait reçu, il restait l’emballement de son cœur à l’espoir qu’elle prenne sa main, lui ravisse son cœur.
Elle rougit.
Elle avait ce pouvoir-là, alors. C’était ça, d’être une femme pour un homme, alors ? Le choix de le faire s’envoler tel un dragon rugissant ou se décomposer en bave de limace gluante. Ou était-ce là le pouvoir de la personne qui se faisait courtiser, tout simplement ?
— Noah.
Elle tourna la tête vers lui. Il la regardait, un mélange d’inquiétude et de curiosité dans ses yeux bleus.
— Espèce de couillon…
Avec la vivacité d’une carpe, elle lui sauta dessus et l’embrassa.