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Noah suivait un sentier dans une forêt en pente. Il lui semblait faire le tour d’une montagne, mais la végétation lui dissimulait le paysage. Il arriva à un embranchement : soit il poursuivait son tour, soit il s’éloignait en descendant une pente abrupte.

Noah poursuivit le chemin qui lui parut le plus sûr, et fit le tour de la montagne. C’était long et ennuyeux, d’autant qu’il ne semblait ni monter ni descendre vraiment, bien qu’il y ait quelques hauts et bas.

Il avança jusqu’à reconnaître le décor, puis tomba à nouveau sur la fourche.

— Bordel.

Il descendit la pente abrupte et se retrouva rapidement au bord d’une falaise. Le précipice était vertigineux. Devant lui s’étirait l’horizon dominé par son soleil ardent et, en contrebas, de vertes prairies qui ondulaient sous la brise.

— Me voilà bien ! J’ai franchement pas envie de remonter tout ça.

Il sortit du sentier et avança sous les arbres. Il trouva un puits, façonné au temps jadis, avec des pierres rudement bien assemblées en un cercle parfait. L’orifice était imposant, trois mètres de diamètre, et sa profondeur semblait insondable. C’était un puits, donc c’était sombre. Or, il sentait qu’il devait sauter dans ce puits.

— Bordel. J’aurais dû amener un dictionnaire des synonymes. Mais bordel quand même, pourquoi je sauterais là-dedans ? Pourquoi le chemin, la seule façon de sortir de cette montagne, ce serait de sauter là-dedans ?

— Parce que c’est le seul moyen de trouver du soutien.

Noah sursauta à une hauteur toute féline, puis se retourna. Il avait reconnu la voix, et il ne fut pas surpris d’apercevoir Théo.

— Je croyais que tu m’avais foutu la paix, toi.

— Moi aussi, je t’aime, Noah. Je n’y peux rien si tu m’appelles sans arrêt.

— Genre !

Théo s’approcha du puits et regarda dedans. Que pouvait-il y voir ? Théo avait ces yeux bizarres de chamane, il devait voir des choses. Visiblement satisfait de son inspection, il se retourna vers Noah et lui tendit la main.

— Allez, saute ! Il est très bien, ce puits !

— J’ai peur !

— Raison de plus, Noah. La vie t’a gardé auprès d’elle, crois-tu qu’elle renoncerait à toi aussi facilement ? Si tu veux avancer dans ta vie et comprendre quelque chose de tout ce touintouin, tu dois sauter, Noah. À défaut, tu tourneras en rond, dans tes sempiternelles jérémiades et frustrations.

— Et pourquoi c’est pas un pont ? Un pont de lumière qui conduit à un truc chouette, avec des lutins qui saluent à mon passage ? Là, j’aurais envie de le prendre, ce pont ! Pourquoi un putain de puits tout obscur ?

— Parce que tu es aveugle, Noah. Il n’y a pas d’obscurité dans ce puits. Ce sont tes croyances qui t’empêchent d’y voir la lumière. Et aucun esprit, à part le tien, ne peut dissiper les ténèbres dans lesquelles tu te drapes.

— Tu fais chier, Théo ! Onmyomachin-chose ! Vous me cassez tous les burnes, parce que chaque fois que vous parlez, il y a un truc en moi qui dit que vous avez raison ! C’est insupportable, tu sais ?

Théo sourit. Il n’y avait aucune condescendance dans ce sourire. Il était pure joie. C’était encore plus insupportable.

Noah hésita longuement. Il finit par trancher :

— Eh bien voilà, je saute ! Aux enfers s’il le faut ! De toute façon, j’ai même pas de mains pour peloter la seule fille qui a ouvert les yeux sur qui je suis !

Et lorsqu’il rouvrit les yeux, la lumière était blanche, violente, du genre d’une lampe de poche braquée dans sa figure. Noah leva son bras pour s’en protéger.

— Ah ! s’exclama une voix féminine. Tu reviens à toi.

C’était Marise.