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La tension qui avait habité les lieux s’était dissipée. Noah observait beaucoup Marise. Alors qu’elle rinçait la salade, il se demandait, dans ce qu’il voyait, dans l’image qu’elle donnait d’elle-même, avec son air gothique, combien était vrai. Dans ses cheveux noirs et blancs, il lisait désormais son dilemme. Dans les piercings, des blessures non refermées. Ses chaussures la grandissaient, comme un appel à se montrer à la hauteur.

Noah savait qu’il se faisait des idées, mais il s’interrogeait tout de même.

Elle tourna la manivelle de l’essoreuse à salade — encore une chose que Noah ne pouvait pas faire sans ses mains —, et le boucan emplit la pièce. Au lieu de s’apitoyer sur son sort, l’adolescent se surprit à observer la danse des cheveux de la jeune femme. Il en était encore transi quand elle se retourna et remplit les deux assiettes. Ses yeux rencontrèrent les siens. Le temps s’arrêta.

Noah avait déjà aimé des filles. Il avait cru savoir ce que c’était, l’amour. Le cœur qui s’affole, les pensées qui tournent en rond autour d’elle, le rouge qui monte aux joues quand elle le regarde. Il la sentait, d’ailleurs, cette chaleur un peu honteuse, là, tout de suite, sur ses pommettes. Et pourtant, elle ne serait entrée, physiquement parlant, dans aucun de ses rêves. Depuis qu’elle lui avait tendu la main, deux jours plus tôt, et qu’ils avaient enterré la hache de guerre en constatant leurs blessures mutuelles, il avait basculé. Il voyait quelque chose qui n’était pas visible.

Elle lui sourit et détourna les yeux, comme gênée.

Noah se secoua les puces. Il plongea la tête dans la soucoupe aux tomates et en sortit une à pleines dents, prenant soin de ne pas l’abîmer. Comme un chien, il la plaça dans son assiette. Ça, il pouvait le faire, même si c’était naze, bas, animal, moins que rien, c’était, à la vérité, mieux que de ne rien faire. Il ne supportait plus de ne rien faire. Puis il la regarda à nouveau et lui demanda :

— Je te sers aussi une tomate à la salive, ou tu préfères garder ta dignité ?

Elle rigola. Il y avait dans son rire franc, dans la manière dont ses dents blanches se révélaient un instant, dans le coin de ses lèvres, une joie que tout le reste de son corps étouffait. Alors, ça valait le coup, rien que pour ça, de mettre la tête dans le panier pour prendre une tomate.

— Je vais m’en sortir toute seule, assura-t-elle.

C’était cool, quand même, de ne plus entendre le dégoût dans sa voix.

— Un jour, je ferai pareil…, murmura Noah pour lui-même avant de croquer sa tomate.

Après tout, si Caroline appréciait sa laitue des heures durant, et semblait vivre une vie bien plus plaisante que la sienne, pourquoi ne pourrait-il pas savourer son plat à pleines dents ?