Noah passa une très mauvaise nuit. Déjà, Théo s’était éclipsé une bonne partie de la soirée pour tenter de soutirer les informations à Alphonse sur leur destination et ce qu’ils allaient y faire. Quant à Marise, elle avait fait semblant de méditer sur une chaise de la cuisine pour éviter de parler de quoi que ce soit. Quand Théo était revenu, il avait fait la gueule parce qu’il n’avait rien appris, sinon l’heure du départ et la durée approximative du séjour : deux semaines au moins ! Quatorze jours seul avec Marise… L’enfer occupa toutes ses pensées jusqu’au milieu de la nuit, avant que le sommeil ne l’emporte enfin.
Il fut réveillé avant l’aube quand Théo et Alphonse partirent. À peine Noah avait-il tenté de parler de sa situation désespérée avec Alphonse que celui-ci lui avait dit qu’avec la tête qu’il avait, il ferait mieux de se rendormir, et que tout irait bien. Après tout, si la mort ne l’avait pas emporté la première fois, il était peu probable qu’elle vienne le chercher ici.
Il y a bien des choses pires que la mort…, pensa Noah.
Quand il se réveilla, il était seul dans la chambre. On était au milieu de la matinée et il avait envie de chier.
— Oh bordel…, lâcha-t-il avant d’intimer à ses organes de retenir tout ça.
Il se leva et s’habilla tant bien que mal. Avec le temps, il devait reconnaître une certaine agilité de ses bras pour faire glisser les vêtements dans un sens comme dans l’autre.
L’être humain peut s’habituer à tout…, se dit-il.
Il descendit les escaliers et se mit en quête de Marise. Ne la voyant pas au rez-de-chaussée, il s’en alla au jardin, sans plus de succès. Il observa que les lapins avaient été nourris et que les poules étaient sorties de leur cabane.
— Maaaaariiiiiiise ! héla-t-il.
Les intestins de Noah se manifestèrent à nouveau. Il savait qu’il ne pouvait pas s’en sortir seul pour se torcher sans en mettre partout. Il devait la trouver.
Elle était peut-être vers la rivière.
Réfrénant son système digestif, Noah descendit le long du champ. Marise se tenait là où elle les avait trouvés la veille. Elle jetait des cailloux dans la rivière, sans réelle fougue. C’en était presque hypnotique.
À un moment, Noah se trouva suffisamment proche pour la tirer de ses pensées. Elle le dévisagea, hésita une seconde, puis lui lança :
— Alors, elle est où, la licorne ?
Noah, déstabilisé, ne sut d’abord quoi répondre. Il sentait que s’il n’était pas à la hauteur, il allait en baver. Il chercha à voir. Il écarquilla les yeux et fouilla les environs. Rien.
— T’en sais rien, hein ? dit-elle. Vous avez dit ça pour faire genre et esquiver le problème du lapin. Pour que je passe pour une nouille pendant que ces messieurs étaient occupés à des affaires bien plus élogieuses, hein ?!
Noah la dévisagea à son tour. Elle était en colère. Elle semblait fragile en même temps. Il lui restait quelques pierres dans une main.
— Parce que vous croyez que j’ai que ça à foutre, de nourrir des putains de lapins ?! Que j’ai choisi de me retrouver avec deux empotés et un vieux cinglé qui sort toutes les minutes des putains de vérité qui font mal, avec son gros sourire d’idiot ?! Que ma vie à moi, elle est moins merdique que la vôtre ?!
Noah ouvrit la bouche ou, plus exactement, béa.
— Y en pas un qui s’est intéressé à moi ! Pas un qui m’a posé de questions sur qui j’étais, ce que je ressentais ! Pas un ! Et maintenant que les deux autres se sont cassés, il faudrait que je m’occupe de toi ? Tu peux crever, Noah ! Vous pouvez tous crever !
Il vit les lames affluer au bord de ses yeux surmaquillés de noir.
— Casse-toi ! Je ne veux plus te voir !
Elle lui lança un premier caillou. Fort et en plein dans la poitrine.
Cela sortit Noah de sa contemplation. Il se tourna et reçut le deuxième projectile sur l’épaule. Comme il ne comprenait rien, il fuit. Toute envie de déféquer l’avait subitement quitté.