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Le lapin se promenait tranquillement dans le champ, mâchouillant les fleurs jaunes des pissenlits, esquivant sans grand effort les bipèdes maladroits qui tentaient de l’amadouer. Quelques fois, ils lui courraient dessus, et il se carapatait, heureux de pouvoir faire plus de deux bonds sans se heurter aux murs de sa cage. Puis il s’arrêtait, les oreilles dressées et la tête tournée de manière à voir où en étaient ses poursuivants. Une nouvelle fleur craquait sous ses dents.

— Bon Dieu ! s’exclama Théo à bout de souffle. On l’a un peu rabattu vers le clapier, mais quelle galère !

Quelques mouvements plus tard, le saligaud s’était planqué sous le tas de bois, juste hors de portée des bras trop courts des adolescents. Théo alla chercher quelques planches et enferma le lapin là où il se trouvait, espérant que ça le mettrait à l’abri des prédateurs.

— De toute façon, justifia-t-il aux autres, on n’y arrive pas, et la nuit tombe.

Une truffe qui se colla par surprise derrière sa cuisse le fit sursauter comme un chat.

— Bettie ! s’exclama-t-il.

Les trois compères se tournèrent alors vers Alphonse. Il porta une cagette visiblement bien garnie dans la maison, puis ressortit et vint les trouver. Aucun n’avait osé bouger, ne sachant pas trop comment annoncer la nouvelle.

Bettie jappait et cherchait à dégager la planche qui protégeait le lapin. Noah la bloquait avec ses jambes. Pour une fois qu’il servait à quelque chose.

— Qu’est-ce qui se passe, les enfants ?

— Il y a un lapin qui s’est fait la malle et qu’on a réussi à coincer sous le tas de bois, dit Théo.

— Ah.

Ce fut tout ce qu’Alphonse dit. Il les observa tous les trois, plissa les paupières. Noah imagina sans mal les esprits lui dire tout ce qui s’était vraiment passé, de l’abandon de Marise devant la cage à leur chasse inutile dans le champ. Mais pour seule action, le chamane s’éloigna de plusieurs mètres et rappela Bettie, qu’il força à se coucher et à ne plus bouger.

— Théo, va me chercher une carotte. Éloignez-vous, vous le stressez.

Tout le monde s’exécuta aussitôt.

Théo revint avec une carotte et ses belles feuilles, la donna à Alphonse, qui ôta la planche, déposa la carotte et tapota dessus avec sa main.

Pendant un moment, il ne se passa rien, puis le lapin s’approcha et mâchouilla les feuilles. Alphonse lui parla d’un ton apaisant jusqu’à pouvoir le caresser. Le lapin restait vigilant, mais il semblait percevoir la bienveillance du chamane.

Soudain, comme un serpent fond sur sa prise, Alphonse attrapa les deux oreilles et les tint bien serrées. Le lapin se figea et se laissa faire. Alphonse prit la carotte, puis souleva le lapin pour l’amener à sa cage que Théo ouvrit précautionneusement. Alphonse relâcha l’animal dans la cage et leur offrit la carotte. Ses quatre autres congénères se ruèrent dessus. Théo referma la cage.

— Et voilà le travail ! s’exclama Alphonse. Bon, on va manger ?