Ce n'était pas Théo qui le regardait. C'était lui-même. Il ignorait comment, pourquoi, mais il en était intimement persuadé. Il se regardait à travers le regard de Théo. Son cerveau buggait sur le concept. Sa gorge s'ouvrit avant qu'il en prenne conscience, comme s'il était en retard sur son propre corps et qu'il ne pouvait que constater, avec étonnement, ce qu'il était lui-même en train de demander :
— Que vois-tu ?
C'était débile ! Qu'est-ce qu'il s'attendait à ce qu'il réponde ? Il voyait un rescapé d'un suicide de merde infoutu de bouger ses mains, qui ne comprenait rien à la vie. Un imbécile qui se demandait quand cette farce finirait enfin et qu'il pourrait crever en paix. Un gars qui avait trop bien compris le monde pour y rester plus longtemps. Un cadavre ambulant qui n'attendait que la décomposition.
Une voix nouvelle écrasa ses ruminations :
— Je vois une version passée de moi-même, à l'époque où je n'avais pas compris le sens de la vie, où je n'avais pas compris ce qu'était le mental ni l'influence de l'atroce chose qui stagne au-dessus de mon épaule. Je vois mon potentiel, encore endormi. Je vois que je ne suis pas prêt à sortir de ce lit, dont on va m'éjecter dès demain pour faire place à d'autres types plus mal en point.
C'était bien Théo qui parlait, mais c'était comme si ce n'était pas lui en même temps. Cela ne ressemblait pas non plus à un jeu d'acteur, car il n'y avait pas d'expression sur son visage. Et ces mots… ces mots pénétrèrent profondément dans son esprit et dans son corps.
Ces mots étaient vrais. Noah le savait. Sans rien comprendre à ce qu'il se passait, une autre question jaillit de sa propre gorge :
— Qu'est-ce que je vais devenir ?
Noah réalisa l'immense peur qui venait de surgir. Il se l'était cachée depuis son réveil. Et bim ! Elle venait de sortir tel un coup de tonnerre, dévastant le peu de stabilité mentale qu'il avait rassemblée.
— Au contact de la nature, tu renoueras avec la vie.
Théo cligna des yeux. Leur contenu changea subtilement. Le reflet disparut.
— Pardon, dit le garçon. J'étais ailleurs, un instant. Qu'est-ce que tu disais ?
Noah ferma les yeux. Il se sentait à deux pas de la folie, mais demanda tout de même :
— Qu'est-ce que tu es, Théo ? Un oracle ?
Si Noah avait eu les yeux ouverts, il aurait vu un sourire joyeux illuminer le visage de son visiteur.
— À temps partiel, alors, car la divination n'est qu'un de mes dons. Je suis un Onmyōji.
— On est bien loin de l'archipel du Japon. C'est une bonne situation, ça, Onmyōji ?