Canalisation directe, canalisé le 5/13/2025 par Iphégore Ossenoire.

La voie du guerrier

Lorsqu’on parle de la voie du guerrier, il n’y a pas de suite d’étapes précises. Selon ses sensibilités, chacun découvrira les choses à son rythme et pas nécessairement dans le même ordre. Ce qu’il convient de garder à l’esprit, c’est que la pratique est un tout. On revisite sans cesse chaque chose avec un œil nouveau, puisant dans les principes des techniques qui nous ont été transmises, les actualisant par rapport à nous, à l’époque et au contexte dans lesquels nous vivons. Il se dégage néanmoins certaines choses qui jalonnent ce parcours. Sont-ce des étapes ? Ce sont plutôt des marqueurs qui permettent d’explorer les différentes dimensions de la voie.

Emprunter la voie du guerrier, ce n’est pas nécessairement aller jusqu’à son terme. Il serait déraisonnable de se fixer des objectifs sur la base de ce qu’untel ou untel a réalisé, même s’il s’agit assurément de sources d’inspiration puissantes. Chercher à reproduire ce que tel maître a réalisé est un égarement. L’astuce consiste à explorer le chemin : s’il a pu faire cela, si ce qui m’a été transmis est vrai, alors il y a des choses que je ne comprends pas, dont je ne soupçonne pas l’existence, et c’est vers cela que je vais tendre. Alors, le chemin qui se met en place dans votre vie ouvre les portes vers les réalisations nécessaires. Encore faut-il les chercher, et ne pas se contenter de la pratique dans le dojo pour les trouver. La majeure partie de cette voie se passe en nous-mêmes, et il n’y a pas de moment plus propice à cette exploration que la solitude. C’est alors qu’on découvre des choses et les assimile, avant d’aller les explorer dans la relation à l’autre. Le sanctuaire qu’est le dojo, avec ses pratiquants et amis animés par l’étude, enthousiastes à l’idée de découvrir de nouvelles choses, humbles devant la complexité de l’art martial, est le lieu tout indiqué pour ancrer dans la matière les choses découvertes en nous-mêmes.

L’alignement que l’on recherche est celui de l’âme, du corps et de l’esprit. La nécessité des temps passés a fait de nous autres des guerriers. Cet héritage est toujours présent en nous. Si l’on comptait plus de guerriers éveillés, nous vivrions dans une tout autre société, car cette dernière ne pourrait nous imposer une situation de vie contraire à nos valeurs. Moins de passivité, plus de résolution, en somme. Nous pouvons donc réveiller cette partie de nous qui est héritage de la guerre. Non pour engendrer le conflit, mais pour préserver notre intégrité, ce qui nous rend unique et complémentaire aux autres êtres vivants sur notre belle planète, dans cet univers extraordinaire. Le corps s’est forgé autour de l’âme ; il ne ment pas. Encore faut-il l’écouter sans filtrer ce qu’il dit. Notre esprit a une formidable capacité à ne pas écouter, à réécrire les sensations au gré de ses désirs, de ses fictions. Renouer le contact entre le corps et l’esprit, rouvrir le canal de l’esprit qui reçoit ses enseignements du corps, telle est l’approche des arts martiaux. Au début du chemin, l’esprit ne peut pas se saisir de l’intégralité de la technique. Il en acquiert des parties, et c’est lorsqu’elles sont mises en pratique que le corps indique ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, ce qui est plaisant, ce qui fait mal. Cherchera-t-on ce qui est plaisant ou ce qui fait mal ? Cela dépend de la fiction de l’esprit. Un esprit englué dans ses croyances pourra rechercher ce qui fait mal, allant ainsi à l’encontre du désir du corps, et par-là, à l’encontre du désir de l’âme. Cette dernière, dans pareille situation, souhaite seulement que l’esprit dépasse de telles croyances, qu’il s’en affranchisse.

Jadis, les blessures engendraient le temps de la réflexion. C’est un moyen radical pour le corps de forcer l’esprit à l’immobilité. À notre époque, nous avons acquis suffisamment de savoir et dispensé un tant soit peu de sagesse pour nous accorder ce temps sans traumatiser le corps. C’est pourquoi, en aïkido en particulier, art dans lequel les formes ont été polies pour grandement limiter le risque de blessure, il est si important que les pratiquants soient sensibilisés à ces temps.

La voie du guerrier est faite de petits pas et de réalisations. L’enseignement consiste à jalonner ce parcours pour guider l’élève vers les opportunités de réalisation. Car il est des choses que l’on ne peut pas enseigner à l’esprit. Tenter d’expliquer à quiconque n’a jamais été immergé ce que cela fait d’être dans l’eau, avec la gravité, la quantité d’air dans les poumons, la fermeture des tympans et j’en passe, ne permet pas de réaliser la chose. C’est une fois plongé dans le bain, à la recherche d’air, aux sensations de remonter à la surface, que la réalisation se fait. Alors, il n’est plus possible d’oublier ce que signifie être immergé. Et pourtant, il est impossible de l’enseigner.

Ce qui a toujours été difficile en Occident, c’est que le cantonnement à ce que la science a démontré, conjugué à la confiscation de la spiritualité par des religions hégémoniques, a fermé culturellement les pratiquants à la place de l’être humain dans l’univers. C’est donc tout naturellement que les dimensions énergétiques et spirituelles de l’art martial ont disparu. Pourtant, des pratiquants passent leur vie à étudier et parfaire leur technique. Ils grattent jusqu’au seuil de la plus grande partie du chemin, conscients qu’il y a quelque chose de plus à déterrer, mais s’interdisant, par leur culture, par la fiction à laquelle se restreint leur esprit, de le trouver. C’est pourquoi je suis heureux, en tant qu’handicapé par la culture française ayant trouvé le chemin, de jalonner ce chemin pour tous ceux qui souhaiteront l’expérimenter.

Le guerrier qui atteint la réalisation du budo comprend qu’il n’est pas complet en tant que guerrier. C’est-à-dire que le guerrier n’est qu’une composante, importante, possiblement centrale à son éducation, de sa personne. Ce n’est pas une surprise si les maîtres avaient tous une fibre artistique. Le chemin vers l’illumination nous reconnecte à la richesse expansive de l’être humain. La voie du guerrier n’est qu’une des voies, et toutes convergent. Ainsi, les yogis expliquent probablement le plus clairement à l’Occidentale les étapes en décrivant à quoi ressemble la vie d’une personne dont l’énergie est montée à tel ou tel chakra. C’est un autre point de vue, un autre référentiel, qui conduit au même endroit : la complétude. Ce qui compte, c’est de trouver le système qui nous parle, nous met en joie dans notre progression. Le mien est celui du guerrier.

La première fois que le guerrier en devenir entre dans le dojo, il a décidé de s’affranchir de sa passivité, de son statut de victime. Souvent, aujourd’hui, pour les jeunes, ce sont les parents qui décident, et ce n’est pas bon. Ils sont emmenés par crainte de ce qui pourrait leur arriver dans la vie. Ils devraient y être par désir de découvrir celle-ci. Le monde des guerriers a toujours fasciné les enfants, à travers toutes les cultures guerrières. Cela ne fera pas de lui un militaire. Les germes qui seront dispensés dans son enseignement seront ceux de l’intégrité, du courage de suivre son propre chemin sans se laisser désarçonner, de traverser les difficultés et d’apprendre au côté des autres. C’est ce que l’on devrait chercher au dojo.

Certes, ce qui conduit le guerrier en devenir au dojo est rarement aussi clair d’esprit. Certains viennent apprendre à se battre, d’autres veulent reproduire les prouesses gymniques des chutes envolées, d’autres encore entrent parce que les vieux pratiquent toujours et semblent en bonne santé. Peu importe la motivation, tant que le cœur y est. Ils auront le temps de découvrir le reste, pour autant qu’il est proposé plutôt qu’imposé.

Ainsi, au début, le guerrier dépasse sa peur de se dresser pour lui-même contre l’adversité. Il veut devenir capable de faire face à la violence dirigée contre lui. Il est amené à vaincre ses propres peurs : côtoyer le danger pour influer dessus, avancer plutôt que reculer. Petit à petit, il se découvre capable de cela. Certes, dans le contexte et la bienveillance du dojo.

Bientôt, le guerrier se découvrira en mesure de vaincre. Il cherchera à toujours l’emporter, quel que soit le physique de son partenaire (gros, grand, petit, musculeux, frêle), mais aussi quel que soit l’état d’esprit (franc, direct, roublard, sans renoncement). Au fil de sa progression technique, vaincre deviendra une assurance. Encore une fois, dans le cadre bienveillant du dojo.

Ayant dépassé ses peurs premières et acquis la capacité à vaincre, le guerrier peut ouvrir les capacités de contrôle, qui vont devenir des capacités à soumettre. Alors, le guerrier se concentre sur vaincre et dominer. De nombreux pratiquants restent coincés à cette étape, affinant des techniques simulées sans cesse, pour amener le partenaire à une projection ou une immobilisation sans pitié.

Le guerrier qui, par l’expérience ou après avoir forgé son esprit, vainc et domine, est confronté à la vanité de l’effort. La vie peut-elle se résumer à vaincre et dominer toutes les confrontations ? A-t-il atteint le bout de la voie ?

Les récits et enseignements transmis dans les écoles d’armes témoignent que non. De grands maîtres ont été plus loin, ont trouvé quelque chose de plus. Alors, nombreux sont ceux qui travaillent sans cesse leur technique. D’aucuns se contentent du plaisir de la pratique régulière. Tous stagnent sur la voie.

La première chose à réaliser est l’intention. Dans quel but réalisez-vous la technique ? Qu’est-ce que vous mettez dans votre cœur au moment du contact et jusqu’au bout ? Pratiquez l’intention de dominer et constatez ce que vous sentez dans votre corps ; interrogez le partenaire sur ce qu’il sent également. Pratiquez l’intention d’accueillir et d’apaiser. Vos perceptions sont-elles différentes ?

L’exercice précédent peut paraître facile. Il n’en est rien. Focaliser une intention véritable tout au long d’une technique est effroyablement difficile. Cela requiert de chercher au fond de soi cette énergie ou émotion brute et de la vivre, dans l’esprit et dans le corps. On ne peut pas manifester une intention d’apaisement si l’on ne connaît pas la paix.

Alors, le guerrier réalise que tout l’univers de l’esprit est à mettre à contribution. Et l’univers de l’esprit est celui de l’invisible. Si vous ne connaissez pas la paix, ce n’est pas la pratique au dojo qui vous l’apportera, mais la psychologie si vous êtes de ceux de la science, ou le chamanisme si vous êtes enclins à des approches alternatives. Les deux, en l’occurrence, devraient vous permettre d’atteindre le sentiment de paix, pour autant que vous trouviez des professionnels compétents et adaptés à votre psyché. C’est pourquoi le guerrier se retrouve alors à acquérir les outils pour libérer son esprit par lui-même. Le chemin le plus rapide n’est alors pas celui de la science. C’est pourquoi je dis que l’univers de l’esprit est celui de l’invisible.

La reconnexion à l’intuition est quelque chose de fondamentalement complexe en Occident, tant le poids des sciences et les constructions sociales (l’intuition féminine est le seul encouragement à se faire confiance instinctivement) enferment le guerrier dans le mental.

Au fil de l’exploration de son esprit, le guerrier va se confronter à d’importants déséquilibres. Les principaux sont entre le féminin et le masculin, entre le futur et le passé, entre le ciel et la terre. Il y en a beaucoup d’autres, mais ceux-ci sont les premiers auxquels le guerrier avisé devrait se consacrer. Le féminin et le masculin sacrés sont des concepts issus de notre société occidentale. C’est en répliquant ce modèle que l’on attribue certaines qualités ou comportements sociaux et émotionnels attendus soit à l’homme soit à la femme. On les oppose. L’on peut prendre quelques-uns de ces éléments et les positionner sur un axe : dominer/soumettre, vaincre, défendre son territoire, chasser, construire, décorer, cueillir, accueillir, soutenir, s’aplatir. Aux extrêmes de l’axe se trouvent les formes dégénérées des valeurs du masculin et du féminin sacrés. L’être complet ne soumet pas les autres à sa tyrannie, pas plus qu’il ne se laisse marcher dessus. L’être humain complet est équilibre entre tous ces comportements et passe de l’un à l’autre au gré de ce qui est bon pour lui. Nul ne passe le même temps dans chaque qualité, mais tout un chacun peut puiser librement dedans sans se soucier de l’étiquette sociale de la posture et des émotions associées. Paradoxalement, le modèle individualiste à l’extrême de la société occidentale du XXIe siècle rend ces concepts très abordables, car, si le guerrier ne s’occupe que de sa pomme, il n’a pas besoin de taper dans les extrêmes. Le guerrier qui recourt à un extrême a des traumas que le travail sur l’esprit guérira.

En rouvrant ses perceptions à l’intuition, le guerrier se rouvre aux subtilités invisibles du monde. Sa motivation peut être très pragmatique : savoir si la personne derrière lui est sur le point de l’attaquer, sentir l’arrivée de quelqu’un, sentir le regard même lointain d’un archer et qualifier son intention.

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